dimanche 13 juin 2021

Surfinancement des établissements anglophones au Québec

Extraits de l’allocution de Frédéric Lacroix devant le Comité permanent des langues officielles.

[…]

[La fausse symétrie des minorités linguistiques]

À mon avis, le principal problème avec la Loi sur les langues officielles est le concept artificiel de « double majorité » : la loi institue une majorité anglophone hors Québec et une majorité francophone au Québec. À chaque « majorité » est associée sa minorité : francophone hors Québec et anglophone au Québec.

Ce concept de « double majorité » n’a aucune réalité sociologique. Cela est manifeste quand on s’attarde au fait que les anglophones du Québec, qui constituent une minorité numériquement, assimilent en réalité environ la moitié des immigrants allophones qui s’installent au Québec. Les anglophones constituent, du point de vue de la langue maternelle, 8 % de la population du Québec mais assimilent la moitié des immigrants allophones qui s’installent au Québec. Les quelque 80 % de francophones au Québec assimilent l’autre moitié. Il y a 10 fois plus de locuteurs de français au Québec que de locuteurs de l’anglais, cependant les substitutions linguistiques se font moitié-moitié vers chaque langue. Le rapport de force entre les langues au Québec est donc d’un facteur 10 en faveur de l’anglais.

Les anglophones du Québec ont la vitalité linguistique d’une majorité.

Dans les faits, la Loi sur les langues officielles entérine un bilinguisme compétitif et inégalitaire entre l’anglais et le français partout au Canada, incluant au Québec.

Depuis 2001, le poids relatif des francophones recule à grande vitesse au Québec tandis que celui des anglophones se maintient ou est même en progrès. Ceci est dû à la disproportion des substitutions linguistiques canalisées vers l’anglais au Québec ; la moitié des substitutions des immigrants allophones alimente un groupe qui constitue seulement 8 % de la population.

[…]

Ce qui signifie ceci : il n’existe au Canada [y compris au Québec] qu’une seule véritable majorité, qui est anglophone. Le Canada est un pays à majorité anglophone. Le concept de double majorité est faux et trompeur.

La loi sur les langues officielles devrait être fondée sur la reconnaissance de cette réalité. Cette loi devrait être asymétrique.

3. Le financement des universités au Québec

J’ai appliqué la notion de complétude institutionnelle pour étudier le financement des universités au Québec. Les universités, en tant que lieu de production et de transmission du savoir, constituent une institution clé pour ce qui est de la vitalité d’une communauté linguistique.

La dynamique actuelle des universités au Québec est marquée par un effritement relatif de la fréquentation des universités de langue française et une hausse de la fréquentation des universités de langue anglaise.

Les universités de langue anglaise McGill, Concordia et Bishop’s récoltent 30 % des revenus globaux au Québec. Cela est 3,7 fois supérieur au poids démographique des anglophones au Québec. Les universités de langue anglaise sont en situation de surcomplétude institutionnelle. A contrario, les universités de langue française sont sous-financées relativement du poids démographique des francophones (70 % pour 78 % de la population). Cela pèse directement sur la vitalité linguistique du groupe francophone au Québec.

Le fonds de recherche fédéraux (CRSH, CRSNG, IRSC, Fondation canadienne pour l’innovation, Chaires de recherche du Canada), en particulier, sont canalisés massivement vers les universités de langue anglaise au Québec, qui reçoivent 38,4 % de ces fonds, soit presque 5 fois le poids démographique des anglophones.

4. L’argent fédéral anglicise les institutions postsecondaires de langue française au Québec

Le gouvernement fédéral verse des fonds au Québec (de l’ordre de 50 millions de dollars par année) pour soutenir le développement de l’enseignement en « langue minoritaire » via l’Entente Canada-Québec (« Ottawa verse des millions pour des programmes d’enseignement en anglais au Québec », Le Devoir, 22 décembre 2020). Ces fonds sont actuellement dirigés pour angliciser l’offre de cours dans les cégeps et universités de langue française.

De plus, de l’argent fédéral est aussi versé à Dawson College via ce programme. Dawson est déjà le plus gros et le plus riche cégep au Québec. La disponibilité directe de fonds fédéraux constitue donc un avantage compétitif indu pour ce cégep.

Le programme devrait être entièrement revu.

5. Le système de santé

Le gouvernement fédéral finance divers programmes afin d’augmenter l’utilisation de l’anglais, qui est conçu comme une langue minoritaire, dans le réseau de la santé québécois. Le fédéral investit des millions chaque année dans un programme géré par McGill University « Anglais en santé » afin de former le personnel de la santé francophone pour qu’il offre des services en anglais. Ceci au mépris des dispositions de la Charte de la langue française, qui assure théoriquement du droit de « travailler en français ». Entre 2008 et 2013, McGill a ainsi formé 6224 travailleurs de la santé. McGill a reçu 32 millions de dollars du gouvernement fédéral pour ce programme.

De par son pouvoir de dépenser, le fédéral contrecarre les intentions de l’Assemblée nationale du Québec. Ceci au nom du concept frauduleux de double majorité, charpente intellectuelle de la Loi sur les langues officielles.

6. Le financement des universités hors Québec

J’ai aussi utilisé le concept de complétude institutionnelle pour analyser le financement des universités bilingues ou de langue française hors Québec. Par exemple, pour l’Ontario, approximativement 3 % des revenus universitaires sont alloués aux programmes en français alors que les francophones constituent 4,7 % de la population de l’Ontario (langue maternelle, recensement de 2016). Le sous-financement des francophones est donc de l’ordre de 40 %. Ceci a des effets drastiques sur la vitalité linguistique des francophones. Une proportion importante des jeunes francophones (44 %) en Ontario opte pour des études postsecondaires en anglais parce que le programme de leur choix n’est pas disponible en français [4].

En Alberta, le campus Saint-Jean reçoit 0,37 % du budget destiné aux universités. Les francophones représentent 2 % de la population de l’Alberta. Le sous-financement des institutions francophones est de l’ordre de 81 % en Alberta !

Il y aurait lieu de dresser systématiquement le portrait de la complétude institutionnelle des institutions de langue française pour toutes les provinces du Canada. L’on trouverait que les institutions de langue française sont systématiquement sous-financées partout. Incluant au Québec.

[…]

Voir aussi

« Tous les programmes qui continussent », dixit Robert Haché, recteur de la Laurentian University (devant le même Comité permanent des langues officielles le même jour)

Québec — Près de 70 % des francophones veulent que la loi 101 s'applique aux cégeps 

Québec — Un réseau collégial de plus en plus anglophone

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